NAUFRAGéS /FlyingLoft



Scénario :

L’HOMME QUI AVAIT VÉCU LA SITUATION

*CHAISES*
Cela fait bien une dizaine de mois que nous n’avons pas posé le pied sur la terre ferme. Des prisonniers en notre propre demeure, voila ce à quoi nous sommes réduis, grand-père et moi. Les Schnabel et les Malasevic vivent désormais chez nous au premier. Il est devenu impossible de dormir au rez-de-chaussée. Plus aucun meuble ne tient debout, et même le sol est trop abîmé pour s’y allonger. La menace capricorne est de toute manière trop présente pour prendre ce risque.

*POT EN FER*
Grand-père est sorti chercher à manger ce matin. La situation devenait urgente, nous ne mangeons plus que des conserves depuis un an et demi. C’est déjà un miracle que ayons pu survivre si longtemps sur nos réserves. Il a tiré un pont en cordes jusqu’à l’immeuble d’en face et s’en est allé par les toits. Nous allons devoir tenir face à la vermine seuls quelque temps, jusqu’à ce qu’il revienne.

*ESTAMPE AUX OISEAUX - VIEILLE BALANCE*
9,50 kilos ! C’est le poids du capricorne que Ringo Malasevic a pêché aujourd’hui. Qui aurait cru qu’il fut si doué pour ça. Moi j’ai beau rester penché au-dessus du vide pendant plusieurs heures, ma ligne ne remonte rien. Quoi qu’il en soit, nous allons enfin pouvoir tresser la corde en boyaux dont nous avions tant besoin et compléter le service à corne entamé le mois passé. “Il faut savoir faire feu de tout bois”, ce sont les tout derniers mots que m’ait dit grand-père avant qu’il nous quitte, il y a 25 mois.

*ANGELOT - FOUGÈRE DÉCÉDÉE*
Nous avons tous un peu perdu la notion du temps. Le bébé Schnabel a deux ans aujourd’hui, il fait maintenant des phrases complètes. Nous estimons donc que la catastrophe remonte à environ 4 ans. Sa mère déploie des prouesses de patience pour arriver à lui faire manger nos navets mais ils sont par trop véreux. Les essais de fertilisation pratiqués grâces aux étrons capricornes s’avèrent prometteurs. Je ne doute pas que sous peu nous ayons des légumes parfaitement sains.

*APPAREIL PHOTO*
Le vent a fait entrer un journal par la fenêtre du dortoir ce matin. Ringo a interprété cela comme le signe de l’arrivée imminente de nouveaux survivants et s’est précipité sur le toit pour guetter leur arrivée. Mais depuis quelques temps les acacias ont tant poussés qu’ils obstruent complètement la vue. Il faudra bientôt en abattre des branches pour reconstituer le stock de bois de chauffe de cet hiver. Une bêche supplémentaire ne serait pas non plus du luxe. 

 *LANTERNE/CAGE A OISEAUX*
Il y a maintenant 7 ans que les capricornes ont envahi l’endroit où vivaient les familles Schnabel et Malasevic depuis toujours. C’est après maintes tentatives d’éradication de ce fléau que les habitants se sont rendu à l’évidence, la bataille est perdue, et la démolition inévitable…

*CHATON TOUT ROUGE*
Malgré la férocité de la tempête d’hier soir, je suis content de voir que la bergerie à capricorne que nous avions construite sur le toit a tenu le coup. Nous qui avions réussi à atteindre un équilibre pour le troupeau, nous ne voulions pas perdre maintenant le fruit de 9 ans de labeur. Force est de constater que M. Schnabel avait raison : l’acacia résiste mieux aux vents. Sans compter que pour une raison inconnue, les capricornes ne semblent pas vouloir l’attaquer. Demain, nous pourrons enfin débuter la cocottière.

*JOURNAL*
La cocottière est à elle toute seule un voyage dans le temps, dans l’espace et dans le coeur des gens. Je m’y rends tous les jours, principalement pour participer à l’effort de la communauté, mais c’est tout notre camp que je trouve, le visage fébrile, dévoré d’impatience. L’une a encore les bigoudis sur la tête, l’autre a mis sa chemise à l’envers. On ne parle que par petites phrases, chuchotées, on guette les premiers bruissements d’ailes.

Les oiseaux font toujours trois tours au-dessus du toit avant de s’engouffrer. Ils entrent dans une tempête de plume et une vague de soulagement. Bien que notre système de livraison aviaire soit en fonction depuis bien un an, les volatiles sont toujours surpris par ces acclamations de joie. Les plus sereins viennent déposer calmement leur courrier dans les poches creusées au sein des parois mais quelques uns, agités, les lâchent simplement en vol.
On se saisit d’un colis, on respire un grand coup, et on pousse un soupir de soulagement. Les petits groupes se forment alors pour discuter de ce qu’on vient de ressentir, les sourires s’épanouissent, les sourcils se froncent, les regards se perdent. Les enfants caracolent après les dernières cocottes, leurs cris résonnent sous la voûte de la grande salle.

Les papiers passent de main en main pour renvoyer les faveurs au plus vite. Le vent est doux aujourd’hui ; Alberta en profite pour traverser le pont de corde et aller souffler son éther dans le calme de l’isoloir. Moi j’ai besoin de chaleur humaine, ce sera le belvédère. Installé sur le hamac de droite, la voisine lorgne de mon côté pour observer comment je plie ma cocotte. Après des mois d’attente, je saisis l’occasion de discuter.


J’inspire profondément.
Mon éther, je le gonfle de senteurs de romarin, de lumière du soir et d’ivresse euphorique, pour la postérité.



LE COLOMBIER > LA COCOTTIERE

Dans la première partie du scénario (page suivante), nous évoquons l’invasion de Lyon par les capricornes comme une métaphore de l’inexorable érosion du temps. Nous décrivons comment l’humanité s’adapte à cette catastrophe en se renouvelant grâce aux vestiges du passé.

Cette évolution contrainte à priori détérioratrice permet en fait à l’homme de se montrer innovant et de sortir de ses carcans pour découvrir de nouveaux savoirs liés à son environnement. De fait, nous passons d’une société coagulée unidimensionnelle à un rhizome d’éléments, de personnes, et de savoirs interconnectés en un réseau fécond.


Nous avons donc voulu travailler sur une hétérotopie qui remette les hommes en relation malgré la distance et la situation difficile. Le colombier a pour fonction originelle d’envoyer et de réceptionner des objets/messages ; il regroupe en un point précis plusieurs lieux, plusieurs instants, plusieurs personnes, plusieurs récits, ce qui en fait une hétérotopie.


Comme nous travaillons sur le concept d’une dégradation positive, nous avons voulu aller plus loin en imaginant que la catastrophe a permis aux Hommes de s’échanger des données qui, à l’heure d’aujourd’hui, par internet ou par courrier, ne sont pas transmissibles. Ces données deviennent source de cohésion et d’entraide non seulement pour le groupe mais aussi entre campements. C’est un nouveau mode de communication basé sur autre chose que des simples mots, ou des biens matériels : une pensée altruiste, un désir d’entraide prenant la forme d’un souffle d’énergie, d’un don de soi, que l’on nommera éther. Il se présente sous la forme d’un souffle, contenu dans un fragile pliage en papier que l’expéditeur doit confectionner puis gonfler lui-même. Le satin socialbird transmet la cocotte au destinataire qui doit ensuite l’éclater pour découvrir cet éther.



PostPilule :
WorkShop :

















PostWorkShop : 










END : 




Laura Michal /Sophie Rullet /Baptiste Vinay.